Michel VILLETON

J'ai commencé l'athlétisme en 1970
en cadet 2 au sein du Coquelicot de St -Etienne.
Après l'armée, j'ai repris par la course sur route. Victime de tendinites chroniques au tendon
d'Achille, je pratique maintenant en temps que loisir.
Très tôt au sein du club, j' ai commencé par entraîner les cadettes du
demi-fond, puis Jocelyne. Instituteur de profession, je suis un entraîneur autodidacte, qui par la suite
a suivi une formation
niveau 2 d'entraîneur de courses sur route.
Pourquoi avoir entraîner Jocelyne ?
La principale raison fut sans doute qu'aucun entraîneur du club
n'a su remarquer chez Jocelyne les qualités qui en ont fait une
médaillée mondiale. Je pense que beaucoup s'attachent
essentiellement aux qualités innées des jeunes
athlètes et s'intéressent
plus particulièrement aux meilleures sans faire
réellement attention à leurs coéquipières
de club.
Nous avons tous rencontré de nombreux jeunes pétris de
qualité, mais combien ont persévéré ? Dans
les sports d'endurance, tout repose sur de longues années de
travail.
II faut donc savoir repérer chez l'athlète les
qualités de solidité physique et mentale, de patience, de
capacité de travail et tout simplement de volonté et de
passion de son sport qui vont permettre au fil des années de
peut-être construire une carrière.
La deuxième raison est que j'ai toujours été
passionné par la physiologie sportive, que j'aurais bien
aimé moi- même suivre un
entraînement cohérent si mes tendons me l'avaient permis.
L'évolution dans la gestion
de la carrière de Jocelyne
Au départ,
je me suis occupé de tout. J'établissais le calendrier
des objectifs et des compétitions de préparation.
Je traçais les grandes lignes de l'entraînement.
Puis j'établissais le programme précis de chaque cycle.
Ensuite, je prenais contact avec les organisateurs des courses qui nous intéressaient.
Ensuite Jocelyne discutait personnellement des
conditions du déplacement, car chacun à sa place,
l'athlète c'était elle!
En soirée je devenais masseur.
Pendant les stages, je m'occupais des enfants. Mon métier
d'instituteur a d'ailleurs facilité les choses (même
horaires, même vacances).
Au fil des années, Jocelyne est peu à peu devenu plus indépendante dans la programmation
de chaque cycle d'entraînement car elle savait très bien sentir ce dont elle avait besoin pour arriver en forme.
Je n'intervenais plus que quand je remarquais soit une carence soit un excès.
Par contre, j'ai toujours gardé l'organisation
générale de chaque saison car Jocelyne n'aimait pas se
pencher sur le calendrier plusieurs mois à l'avance. Même
maintenant que nous avons quitté les grandes épreuves,
c'est encore souvent moi qui propose telle ou telle course sur route,
mais désormais uniquement par plaisir.
ENTRAÎNER SON ÉPOUSE
: QUELS SONT LES AVANTAGES ET LES INCONVÉNIENTS ?
Avantages:
Il est beaucoup plus facile lorsque l'on entraîne un
athlète avec qui on vit (ce fut le même problème
lorsque j'ai
entraîné ma fille et maintenant mon fils) d'affiner en
permanence le plan
d'entraînement par rapport à tous les autres
éléments de la vie.
Au niveau socioprofessionnel, cela m'a permis d'aider au maximum dans toutes les
différentes tâches journalières pour que nous parvenions à faire tenir dans
l'emploi du temps quotidien le travail, les enfants, l'entraînement, les
tâches ménagères et la récupération (par exemple les étirements et
massages en soirée puisqu'il était impossible d'en trouver le temps dans la
journée).
Au niveau athlétique, il m'était beaucoup plus facile de repérer un état de
fatigue.
Au niveau entraînement, je n'ai jamais eu un comportement directif. De toute
façon, nous n'avons ni l'un ni l'autre un caractère réceptif aux ordres.
J'ai toujours préféré motiver et convaincre. Par exemple, alors qu'elle
doutait de ses capacités en raison de performances de base moyennes, j'ai peu
à peu réussi à lui faire comprendre qu'elle avait des qualités d'endurance
aussi bien physique que mentale réelles, une vitesse de récupération
étonnante, une capacité de travail très importante.
Ensuite. le travail et la volonté ont fait le reste.
Inconvénients:
Le danger d'entraîner son épouse ou un membre proche de sa famille est de
s'enfermer dans une obsession et de ne plus parler que d'athlétisme et d'espoir
de performances aussi bien au stade qu'à la maison.
Il faut être capable de mettre une cloison étanche entre le sport et les
autres valeurs de la vie.
Heureusement, nous avions déjà les enfants, qui n'ayant que faire de
l'athlétisme même s'ils nous suivaient partout sur les stades mais sans jamais
regarder la course de leur
mère, nous ont bien aidés à relativiser. Ensuite, Jocelyne a toujours
travaillé à mi-temps, ce qui lui a permis de vivre régulièrement avec des
gens pour qui le sport n'avait aucune importance.
Enfin à l'approche des grands objectifs, je me suis toujours imposé de parler
de l'événement le moins possible, sachant que nous y pensions déjà sans
doute bien assez.
Au fil des années, entraîner Jocelyne est devenu plus compliqué car je pense
que si elle aimait toujours autant la course à pied, elle n'avait plus envie
d'être obnubilée par la performance, désirait s'entraîner de façon plus
intuitive et n'acceptait plus les contraintes d'un programme.
Elle s'entraîne d'ailleurs maintenant toute seule.
Les grands
principes de la construction de l'entraînement de Jocelyne ?
A l'issue de chaque saison, à la suite d'une courte période de régénération
(8 à 10 jours sans aucune activité physique), nous établissions le canevas de
la saison suivante.
Ce canevas était dans les années 85 à 90 pratiquement chaque année
identique:
.Novembre Décembre: - préparation générale
.Janvier -Février: - Préparation spécifique
cross - une semaine de régénération (ski de piste: pas très indiqué
mais avec prudence)
.Mars Avril: préparation
spécifique marathon de sélection - une semaine de
régénération après le marathon
.Mai Juin: préparation
spécifique piste (1500m au 10000m). Nous avons toujours
tenu à conserver une saison de piste pour conserver et
même améliorer les qualités de base.
.Juillet-août: Préparation spécifique marathon (
Championnat d'Europe, Championnat du Monde. Jeux Olympiques ...). - Une semaine de régénération
Septembre-octobre:
Course sur route
Fin Octobre: Marathon récompense
sans préparation spécifique (New York, Chicago)
A partir de quels critères
bâtissions-nous l'entraînement ?
La construction de l'entraînement s'appuyait chronomètriquement sur les performances
de l'année précédente et sur l'évolution constatée régulièrement lors des
tests sur tapis en laboratoire effectués dans le service du Professeur Lacour
au centre de médecine sportive de St-Etienne.
Dès que la progression de la quantité d'entraînement a été jugée
suffisante, nous nous sommes surtout efforcés de rechercher la progression par
la qualité.
Par exemple, même en période de préparation générale, nous avons conservé
une séance sur piste à vitesse supérieure à la V MA type IOxl5Om en
22"-23", des séances de vitesse en côte et des séances de
musculations.
Les étirements et massages étaient effectués le soir à la maison par
contrainte socioprofessionnelle.
Un élément me paraît important par rapport à la construction de la saison de
nos athlètes marathoniens actuels: il me semble que maintenant l'athlète qui
décide de s'orienter vers le marathon ne prend plus le temps d'effectuer une
saison de cross et une saison de piste, ce qui a mon avis nuit à la progression
qualitative et rend la préparation beaucoup moins variée donc plus monotone.
L' avis de Jocelyne
3ème au Championnat du Monde
de Marathon à Rome en 1987
Être entraînée par son mari: Avantages et inconvénients
Pourquoi choisir son mari comme entraîneur ?
Tout simplement parce que je n'intéressais pas l'entraîneur club car je n'étais pas
performante donc négligeable.
(Cela existe d'ailleurs encore très souvent)
Michel étant passionné de physiologie et toujours le nez dans les bouquins
d'entraînement s'est mis à me concocter un programme.
Il m'expliquait pourquoi telle séance et dans quel but, m'a
toujours persuadée que je pouvais faire plus et mieux. Il
connaissait mes limites,
mes moments de saturation, mes capacités physiques mais aussi
mentales.
L'avantage d'avoir eu un mari entraîneur est d'avoir toujours pu lui dire tout
de suite ce que je pouvais ou ne pouvais pas faire.
Par exemple, sous le coup de la fatigue lui dire que je reportais une séance importante, ceci
sans aucune conséquence sur nos relations de couple.
En effet, il connaît bien mon caractère entier.
Chez nous, ça "explose" un bon coup et ça repart.
Les inconvénients, je
n'en ai pas remarqués car il n'y avait ni dominant, ni
dominé mais une osmose qui m'a permis d'être 3ème
au Championnat du Monde.
De toute façon, je n'aurais pas accepté ni de Michel ni d'aucun autre entraîneur que
l'on me fasse des réflexions ou que l'on me sermonne
après une contre performance ( ce que j'ai déjà vu entre entraîneur/entraîné).
Ceci d'autant plus qu'au niveau des efforts aussi bien à
l'entraînement qu'en compétition, je n'ai jamais
triché.
En dehors de l'entraînement et de la
compétition, nous avons toujours eu beaucoup d'autres sujets
d'occupation qui nous ont empêchés de vivre et penser
uniquement
''Athlé", ce qui fait que je n'ai jamais eu de problème
à être entraînée par mon mari.
J'ajouterais surtout que ma préparation pour le Marathon était très programmée
et très minutieuse avec quelques approches personnelles différentes de ce que je vois
actuellement.
Cette préparation était étalée sur les deux mois
précédents le marathon.
Nous regardions le profil du parcours et les conditions climatiques de
course que j'allais rencontrer et la meilleure façon de les
aborder.
C'est ainsi que pour Rome, sachant qu'il
ferait sans doute chaud et humide, j'ai effectué toute ma
préparation aux heures les plus chaudes de
la journée au bord d'un lac pour me préparer à
subir ces conditions.
Ce qui m'a permis d'être l'une des seules à approcher son record dans ces conditions
difficiles.

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